Comment ouvrir le dialogue dans un pays comme la République Centrafricaine fracturé par la guerre civile ? Comment convaincre les différentes communautés d’enterrer la hache de guerre, de travailler ensemble pour rétablir la paix ?
Pour répondre à ces questions, nous nous sommes rendus en République Centrafricaine avec une journaliste de la radio RCF. Ce pays, meurtri par les coups d’état et les conflits armés, compte de nombreuses confessions, ethnies et plus de 70 dialectes différents.
Sur place, nous avons été accueillis par des bénévoles de la PIJCA, une association soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, qui œuvre pour la paix et le dialogue interconfessionnel. Suivez-nous à la rencontre de ces différentes communautés et découvrez, à travers ce récit, leur travail commun en faveur de la réconciliation.
Notre voyage débute dans le sud de la République centrafricaine sous une chaleur écrasante, en route vers la ville de Boda, à l’ouest de la capitale.
Moins de 200 kilomètres séparent les deux villes, il nous faudra pourtant 7 heures pour les parcourir en voiture.
La route, principalement de la piste, rend la conduite difficile même pendant la saison sèche.
Tout au long du trajet, les forêts défilent devant nos yeux, révélant la grande richesse naturelle de ce pays. Les ressources ne manquent pas : or, diamants, uranium et du bois, en grande quantité.
Judicaël et Carmelle, des bénévoles de la PIJCA, la Plateforme Interconfessionnelle de la Jeunesse Centrafricaine, nous racontent qu’à certaines périodes de l’année le sol est recouvert de chenilles, que les arbres regorgent de fruits et que le pays abrite un grand nombre de bétail. Un paradoxe dans ce pays où, selon la FAO, 81,3% de la population vit en insécurité alimentaire.
Sur la route, nous croisons d’énormes camions transportant du bois, des troncs entiers. Nous comprenons rapidement qu’ils appartiennent à la milice russe Wagner, très présente dans le pays.
Nous traversons de nombreux villages. A plusieurs reprises, nous devons descendre sur le bord de la route, montrer nos papiers d’identité et expliquer ce que nous faisons ici. Ces barrages sont tenus par la gendarmerie, mais non loin de là, beaucoup d’autres sont entre les mains de groupes armés. Il n’y a pas de doute : l’insécurité persiste bel et bien dans le pays.
Judicaël nous raconte la guerre civile qui a déchiré ce pays pendant de nombreuses années. En 2013, un groupe armé à majorité musulmane, connu sous le nom de Seleka, a pris le pouvoir par la violence et le sang, plongeant le pays dans le chaos. En réaction, des milices d’auto-défense majoritairement chrétiennes se sont formées, les anti-balakas, déclenchant ainsi une guerre civile qui a causé de lourdes pertes des deux côtés. Les civils ont été, comme toujours, les premières victimes et ont subi de nombreuses exactions.
Judicaël précise : « A l’origine, ce n’était pas un conflit communautaire ! Les chrétiens et musulmans vivaient en paix. Les raisons qui ont déclenchées cette guerre étaient purement économiques. Les gens se sentaient abandonnés par l’État et souffraient de la faim. Mais la guerre a été instrumentalisée par les politiques. Les manipulations et les horreurs commises pendant la guerre ont causé une profonde déchirure, une fracture entre ces communautés. Aujourd’hui, on se bat pour rouvrir le dialogue et retrouver la paix, comme avant. »
Boda, le “laboratoire de la réconciliation”
Nous arrivons dans le centre-ville de Boda. En passant devant le marché, nous sentons des odeurs de café, d’épices ou encore de poisson fumé. Nous pouvons entendre la musique diffusée dans les boutiques, et les clients qui négocient avec les commerçants en sango, la première langue du pays. Les rues de la ville sont bondées, une ambiance chaleureuse et conviviale semble y régner.
Judicaël nous raconte que quelques années auparavant, Boda était pourtant l’une des villes « où le sang a le plus coulé » pendant la guerre. Les musulmans étaient parqués dans un quartier de la ville et ne pouvaient plus en sortir. Aujourd’hui, la mixité est de retour et les gens circulent librement.
Pour comprendre l’histoire particulière de cette ville, nous rencontrons Dasco, coordinateur de l’antenne de la PIJCA à Boda, une personnalité emblématique du village. Il nous emmène sur un petit pont en bois, qui nous paraît au premier abord tout à fait banal. Il nous explique qu’il s’agissait de la « ligne rouge » qui séparait le quartier des musulmans et celui des chrétiens. Pendant la crise, toute personne qui la traversait y laissait sa vie.
Dasco a été la figure de la réconciliation et du dialogue à Boda. Lui-même musulman et marié à une femme chrétienne, il a été séparé d’elle et de leurs enfants pendant la guerre. Forcé de vivre à l’opposé de la ville sans pouvoir retrouver sa famille, il a décidé de prendre les choses en main. Il a été le premier à avoir osé traverser le pont pour engager le dialogue avec les leaders des différents groupes. Il a risqué sa vie pour la paix, et son courage a porté ses fruits. Grâce à la détermination des militants de la PIJCA, comme Dasco, le dialogue s’est progressivement rouvert et la situation s’est apaisée. Les blessures sont récentes et le chemin vers une paix durable est long, mais le calme est revenu. Jusqu’à Bangui, la capitale, on parle de Boda comme un « laboratoire de la réconciliation ».